Présentation

Photographe dans les quartiers prioritaires de Paris ou dans la métropole lilloise, le long du canal du Nivernais ou à Marseille, les problématiques et réflexions liées au paysage, aux territoires, aux lieux traversés, à la façon dont ils sont habités, ont toujours accompagné les réalisations d'Antonia Machayekhi. En vélo, en canoë, en train, à pied, elle accorde une attention importante aux façons dont elle aborde et traverse un paysage pour tenter d’approcher au mieux sa diversité et son caractère inépuisable.
Retrouver l'attention au paysage
L’ensemble de ces photos, qui constituent un travail au long cours, se regarde, se lit et se conçoit comme une promenade, une déambulation au cours de laquelle il ne tient au flâneur et à la flâneuse qu’à retrouver l’attention au paysage. Alternent des plans larges de paysages « panoramiques » de la nature, et des plans serrés des recoins secrets de ces paysages, qui donnent à voir ce qui vit sous la couche des apparences, dans ses poches secrètes, sous la surface, en profondeur, sous l’eau par exemple… On y trouve souvent de la matière à rêver, à s’éveiller au monde. Il y a quelque chose d'organique dans ces visions de la nature ; de l’homme, on ne voit parfois que la marque de son passage, avant qu’il ne se soit effacé : le signe de sa présence n’est parfois qu’évoquée, par un transat, un objet qu’il a laissé. Quand il est présent dans le paysage, c’est une présence fugace, ponctuelle rarement la marque de sa volonté de domination ni de possession des lieux : ces photos ne valorisent jamais la colonisation de ces lieux par l’homme. Comme si cela devrait toujours être ainsi.
Un nouveau rapport entre l'homme et son environnement
Les êtres humains redeviennent ici des usagers du paysage, des passants qui sont déjà sortis du cadre. Une chaise de plage vide, ici, devient le sujet du cliché ; plus loin, un tapis persan est étalé sur un chemin qui borde le Canal du Nivernais, comme un clin d’oeil. L’homme habille le paysage, mais c’est bien une nature décolonisée que l’on découvre ici. Retrouvée, idéale, qui suscite cette envie de proposer un nouveau rapport entre l’homme et son environnement. Ce que semble chercher la photographe, ici, c’est de restituer toute la force vénérable du paysage, qui ne serait ni sauvage, non hostile, ni personnifié -précisément- ni colonisé.
Réapprendre à regarder
C’est le récit photographique de lieux en « re-devenir » dans l’œil de celui qui les contemple, qui ne semblent qu’appeler à être vus autrement. Notre regard sur ces photos est une projection sur notre avenir, il s’agit de réapprendre à regarder et à envisager le futur de ces lieux, à faire partie du tout, et c’est bien la question du regard qui est au centre. Un voyage en train ? C’est une expérience en commun, partagée, du paysage, où le déplacement est un autre moyen de voir, d’ailleurs « dépaysant ». Un seul paysage peut offfrir de multiples dépaysements, pour peu qu’on sache regarder. Ce n’est pas un « spectacle » ; le « spectateur du paysage », s’il existe, n’existe que par le regard qu’il porte loin devant lui -qui a mieux montré cela, en peinture, que le romantique allemand Caspar David Friedrich, avec son « Voyageur contemplant une mer de nuages » ?
Le regard se déplace donc et il est vivant, en train, au fil de l’eau, et il change, car le paysage, tout en paraissant immuable, ne cesse lui-même de changer, il est insaisissable, et offre ainsi la vraie liberté à celui qui le contemple en lui révélant sa part de créativité ; nous construisons notre regard sur le paysage.
L’art dans le paysage en est un intéressant exemple. Comme dans les photos prises dans la cité-jardin du Pré-Saint-Gervais ; l’art devient complice du paysage, qui interagit avec lui et avec notre regard, modifiant encore notre façon de voir ce paysage, notre perception de la façon dont nous habitons un lieu, et comment ce lieu nous transforme, nous. Et questionne notre manière et notre art d’occuper un lieu, mais aussi la façon dont nous occupons une place sur les photos de l’artiste, dans le cadrage qu’elle a choisi.
Nous vivons dans un vaste regard panoramique, à nous d’aménager ce regard, en aménageant artistiquement nos lieux et nos quotidiens.
La photographe confie : « La qualité de notre relation au paysage comme à notre environnement est malmenée ; je veux ramener du lien, retrouver cette qualité avec une certaine forme d’horizon -ce qui signifie aussi l’avenir ». Le véritable obstacle, c’est la fixité des regards - sur les écrans, par exemple.
Contre le regard unique
Ces photos entendent lutter contre les regards fixes, elles laissent entrevoir le bonheur de retrouvailles avec la fluidité, au fil des rivières, par exemple, qu’Antonia Machayekhi à beaucoup suivies, descendues ou remontées, sur les berges en vélo ou à pied, en canoë ou à la nage. Il est question de réparation, de notre lien à l’autre, de notre façon de regarder ensemble mais différemment et distinctement. Ce travail photo, s’il était militant, prêcherait contre le regard unique, comme on dénoncerait la « pensée unique »