La cité-jardin : Stains
Intriguée par « l’utopie urbaine » des cités jardins, par cette réflexion forte autour de l’habitat privé et du collectif, du jardin tout autant « à soi » que partagé, par cette recherche d’une conciliation de la ville avec la nature, par cette volonté de faire du beau pour les populations modestes, je me rends à Stains en 2016 pour découvrir ce modèle visionnaire d’une cité construite en 1933 avec la curiosité de remonter dans le temps, dans l’histoire, d’y trouver ses traces, son héritage dans un contexte socio-économique difficile pour cette commune de Seine-Saint-Denis qui se situait en 2016 à la 12ème place des villes les plus pauvres de France (11ème en 2023).
Ce travail photographique présente des observations glanées au travers d’une déambulation qui donne lieu à des rencontres d’habitants et à la découverte d’un point central, le local Mémoires de Cité-Jardin. Ces rencontres m’ont permis, dans un second temps, l’enregistrement de récits, de témoignages d’habitants impliqués dans la préservation de la mémoire de la cité, et « d’assister » à des moments de vie, des évènements, telle une fête ou encore une séance d’un conseil municipal.
Aller visiter une cité jardin, c’était d’abord pour moi me représenter un espace à la fois très ouvert, « paysager », mais aussi clos, défini par son architecture spécifique, par une délimitation matérialisée, qui la sépare bien des autres quartiers, soit : un îlot. Mais en arrivant à Stains (par le train), je suis frappée par une autre réalité sonore et visuelle qui vient d’ailleurs, du ciel précisément, avec cette présence assourdissante et visuelle des avions qui sillonnent le ciel dans une proximité terrestre inhabituelle : ils font partie du paysage. Je raccorde alors avec cette donnée : l’aéroport du Bourget se trouve à seulement 6km de Stains. Je m’interroge : comment vit-on le fait d’habiter, d’être ancré, de se déplacer dans un territoire qui est sans cesse survolé ? Que devient le sens de la marche dans son espace, dans son quartier quand au dessus de nos têtes des gens se déplacent à près de 1000km/h ? La vitesse du monde ne s’immisce t-elle pas de façon presque violente dans un quotidien fait de lenteur et de l’épreuve du temps ?


Cette impression se poursuit en entrant dans la ville. Je suis frappée par cette dichotomie que m’offre la marche de découvrir des commerces d’un autre temps, d’une autre époque, fermés, et qui me donnent cette sensation de lenteur contrastée par la vitesse des jets privés et cette forme d’opulence, de frénésie qu’ils traduisent, ces contrats, ces affaires sans jours de fermeture. Bref, une autre économie, un autre monde. En général, les disparités sociales s’éprouvent sur l’horizontalité, en traversant les territoires. Là, avec le passage des avions, l’inégalité se vit de façon verticale et dans le même temps, le même espace. Les inégalités Nord/Sud, Est/Ouest dans la capitale parisienne, oui c’est une réalité que je pouvais éprouver, mais je ne l’avais jamais encore éprouvé aussi fortement sur un même territoire, dans cet espace de la verticalité. (Au-delà de ces impressions, projections et ressentis, il y a ce fait donné par l’observatoire du bruit en France : à cause de ce trafic aérien, les habitants de Stains perdent plus de 21 mois d'espérance de vie en bonne santé.)














La photographe Lorraine Turci, auteure de la photo de gauche, explique sa démarche artistique : “A Stains, tout est une question de définition d’entre-deux : urbanisme-nature, architecture bon marché-architecture esthétique, habitat-habitants, espace public-espace privé. Les habitants ont interrogé, dans une démarche active, leur rapport à l’environnement, à leur propre corps et à celui des autres. La corde, élément perturbateur, a tissé un regard différent sur le familier. »